Bienplacés bien choisis quelques mots font une poésie les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème on ne sait pas toujours ce qu’on dit lorsque naît la poésie faut ensuite rechercher le thème pour intituler le poème mais d’autres fois on pleure on rit en écrivant la poésie ça a toujours kékchose d’extrème un poème L’instant fatal Raymond Queneau. Un poème c
Coucou à tous ! Me revoilà avec un article en préparation depuis plusieurs semaines maintenant 🙂 Il fait suite à un article sur la poésie à l’école paru dans Libération cet été, pour lequel j’avais été interviewée. Cela fait plusieurs années que je travaille sur le sujet de la poésie dans ma classe de cycle 2, avec comme objectif majeur, celui de motiver mes élèves à apprendre des poèmes. Par là, j’entends s’investir et surtout y prendre du plaisir. Je suis arrivée aujourd’hui à un système qui plait à mes élèves… et à moi aussi. Le temps est donc venu de partager tout cela avec vous… Ça, c’était avant… A mes débuts, je proposais à mes élèves de réciter un poème sur le thème du moment admettons, l’automne » pour faire original ^^. Je leur proposais alors 2 ou 3 poèmes parmi lesquels ils choisissaient leur préféré. Cela leur laissait une petite liberté, et permettait à la classe de ne pas entendre 30 fois le même texte. Je vous avoue que même si mes élèves y mettaient du coeur, il m’était difficile de prendre du plaisir lors des séances de récitation, qui se voulaient malgré tout très répétitives… Inutile de dire qu’il en était de même pour les enfants et qu’au bout de 3 ou 4 récitations, l’attention était largement déficitaire et pour cause !. Côté évaluation, j’utilisais une grille de critères afin que chaque élève puisse situer ses points forts, les progrès réalisés et les points à améliorer pour les récitations futures. Cette fiche était glissée dans le cahier de poésie. Un fonctionnement classique mais qui ne convenait à personne. Voici donc quelques explications sur les choses que j’ai mises en place et qui fonctionnent aujourd’hui… Maintenant… Un large choix de poèmes Petit à petit j’ai élargi ma banque de poèmes » et créé les fameux recueils par thèmes que vous pouvez trouver sur mon blog depuis un bon moment déjà. Cela m’a permis, dans un premier temps, de proposer non pas 3, mais une dizaine de poèmes sur un même thème. Et puis finalement, je me suis dit A quoi bon limiter à un thème ? » et j’ai proposé à mes élèves de choisir eux-mêmes les poèmes qu’ils récitaient. Rien de très original j’en conviens, nombreux sont les profs qui fonctionnent comme ça dans leurs classes. Il y a donc au fond de ma classe 2 classeurs remplis de poèmes environ 150 il me semble mais je ne les ai pas recomptés récemment ^^, répartis par thèmes avec des intercalaires. En gros, il s’agit de tous mes recueils imprimés et placés dans un classeur. Un objectif à l’année Chaque poème est codé selon son niveau de difficulté de 1 à 3 points. Quelques rares poèmes, très longs ou très compliqués sont notés 3 points + ». Cette gradation permet bien entendu de différencier pour les élèves en difficulté. Mais aussi de laisser chaque élève libre de se fixer son propre objectif. En effet, j’annonce à la rentrée de septembre que l’objectif annuel est de 10 points de récitation. Il ne s’agit en aucun cas de points » se rapportant à une note, vous l’aurez compris, mais bien à la difficulté. En effet il est plus laborieux de mémoriser et de mettre en voix un poème à 3 points, il me semble donc juste d’en exiger un nombre plus réduit sur l’année. Evidemment, certains enfants sont et seront toujours récalcitrants pour apprendre et réciter des poèmes. Mais grâce à ce système, même les enfants qui manquent de confiance en eux parviennent à trouver des poèmes assez simples et sont en réussite. Et pour la grande majorité, on pourrait s’attendre à ce qu’ils s’arrêtent à leur objectif de 10 points une fois celui-ci atteint. Mais pas du tout, au contraire. Lorsqu’ils ont la satisfaction d’avoir atteint leur objectif annuel, ils se sentent capables de plus et continuent pour se dépasser. Et puis pour les motiver encore plus, lorsque leur objectif de récitation est atteint, ils remportent un tampon formidable ». Voire carrément un tampon champion » pour les poèmes 3 points + ». La copie Une fois son poème choisi, l’élève le sort du classeur et le copie sur une feuille. Lorsqu’il a terminé, il colle au-dessous une bande de récitation » et la complète avec la date qu’il a choisie pour sa récitation voir explications plus bas et colorie le nombre de points que vaut » le poème. Il place ensuite le modèle et sa copie sur mon bureau afin que je corrige les erreurs. C’est à ce moment que j’évalue la copie en entourant la bulle COPIER » de la couleur correspondant à l’évaluation de l’élève. Pour plus d’infos, je vous invite à consulter mon codage couleur. Il y a toujours un tampon champion de copie » à la clé, mais pour cela il faut que la copie soit par-fai-te ! C’est le petit + qui motive, mais il est évident qu’un élève qui fait 3 fautes de copie sur un poème entier aura quand même sa bulle cerclée de bleue. L’illustration Ensuite l’élève doit traditionnellement illustrer sa poésie. Là encore, j’ai élargi mes attentes afin que mes élèves trouvent un réel plaisir à créer. J’ai troqué le traditionnel cahier de poésie pour un porte-vues. De cette manière, ils peuvent glisser à l’intérieur des réalisations en relief et se lâcher totalement. Au début de l’année c’est timide et j’ai beaucoup de dessins, puis au fil des semaines les réalisations se diversifient, les enfants s’inspirant les uns des autres. Pour ceux qui me suivent sur Instagram, vous avez pu admirer récemment des illustrations pop-up », des collages extras, etc. Ils m’impressionnent chaque jour davantage ! La récitation Lorsque l’élève a terminé de copier son poème, il choisit une date pour le réciter et s’inscrit sur le planning affiché dans la classe. Il a la possibilité de choisir une date dans les 3 semaines suivant la date de remise de sa copie. Il inscrit cette date dans son agenda. Afin de rendre les séances de récitations plus attrayantes, j’ai limité leur durée à une vingtaine de minutes, 2 fois par semaine. Sur une séance, il y a 5 créneaux » disponibles, c’est-à-dire que l’on peut entendre jusqu’à 5 récitations, pas plus. Et comme les élèves choisissent eux-mêmes leurs poèmes parmi les 150 proposés, il y a peu de chance d’entendre deux fois le même lors d’une même séance. Et ça, c’est le top !! La classe est vraiment attentive, curieuse de découvrir les poèmes du jour. L’évaluation J’évalue mes élèves grâce à la bande de récitation » mentionnée plus haut, que vous pouvez visualiser ici La copie ayant déjà été évaluée, il reste 3 items à colorer le jour de la récitation MÉMORISER » – RÉCITER » – ILLUSTRER ». Afin que mes élèves et leurs parents sachent exactement ce que j’attends d’eux dans chaque item, je leur ai fait une fiche qui reprend les critères de l’ancienne grille que j’utilisais. Cette fiche figure dans le porte-vues. Le fait de regrouper les critères d’évaluation en 4 bulles me permet d’évaluer plus rapidement et de manière encore plus visuelle. Ainsi, j’entoure chaque bulle de la couleur correspondant à l’évaluation, sachant que celle-ci est réalisée avec l’ensemble de la classe. Comme il n’y a que 5 poètes du jour » par séance, nous prenons le temps de commenter rapidement chaque récitation le reste de la classe donne son avis sur les points à améliorer et surtout, souligne ce qui mérite des félicitations. Je montre l’illustration rapidement à la classe, et laisse à la fin de la séance un petit temps libre afin que les artistes en herbe puissent faire admirer leurs oeuvres à leurs camarades. J’indique également sur la fiche si l’objectif est atteint, partiellement atteint ou non atteint. J’attribue le nombre de points correspondants par ex, sur un poème à 3 points, l’élève ne peut en obtenir que 2… Mais c’est rare ^^. En téléchargement… Vous trouverez le planning avec ou sans Alphafun. Et si vous ne comprenez pas ce que je raconte, rendez-vous ici pour lire pour article sur les Octofun.
Bienplacés bien choisis quelques mots font une poésie les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème on ne sait pas toujours ce qu’on dit lorsque naît la poésie faut ensuite rechercher le thème pour intituler le poème mais d’autres fois on pleure on rit en écrivant la poésie ça a toujours kékchose d’extrème un poème . Raymond Queneau. La pomme de terre Quand il
Un poème c’est bien peu de choseà peine plus qu’un cyclone aux Antillesqu’un typhon dans la mer de Chineun tremblement de terre à FormoseUne inondation du Yang Tse Kiangça vous noie cent mille Chinois d’un seul coupvlança ne fait même pas le sujet d’un poèmeBien peu de chose…Un poème c’est bien peu de chose In Pour un art poétique, dans L’Instant fatal, © Poésie/Gallimard, 1987, extraits Poète, romancier, philosophe, mathématicien, encyclopédiste, ouvert à la culture sous toutes ses formes, Raymond Queneau apporte une nouvelle vision du monde. Une vision subversive, dérangeante, avec le déplacement de bien des repères. Attentif à toutes les mutations profondes de son époque, il estime que l’art se doit d’inventer de nouveaux codes, de nouveaux modèles, un nouveau langage, dans une société où s’impose de plus en plus le pouvoir dominant des médias presse, radio, télévision, du cinéma, du téléphone, et où l’électronique, puis l’informatique font leur apparition. Se voulant résolument moderne, il va à contre-courant des attentes du public, se permettant de transgresser les règles, à l’heure où la toute-puissance de l’écrit se trouve désacralisée, où l’information se substitue à la connaissance, où le relativisme remplace les certitudes, où la star prend le pas sur le héros, et l’événement sur l’essentiel », comme l’explique Marcel Bourdette-Donon revue Europe, n° 888, Raymond Queneau est né en 1903, au Havre. Son père, comptable colonial, a quitté l’armée pour tenir avec sa femme un commerce de mercerie plutôt florissant. Fils unique, bon élève, il écrit de nombreux poèmes. Ayant passé son bac latin, grec, philo en 1920, il monte à Paris, avec sa famille. En Sorbonne, il étudie d’abord la philosophie, puis les lettres en même temps que les sciences. En 1924, il rejoint le groupe surréaliste. Après 2 ans de service militaire en Algérie et au Maroc, retour à Paris, où il se marie avec la belle-sœur de Breton, Janine Kahn. Brouillé avec Breton, il quitte le groupe en 1930, travaille dans une banque, voyage en Grèce, commence une psychanalyse, écrit son premier roman, Le Chiendent, qu’il publie chez Gallimard, en 1933, et qui obtient le prix des Deux Magots. La machine à créer est lancée. En 1936, il s’installe à Neuilly et publie désormais un livre tous les ans roman, poésie ou essai. Présenté comme un roman en vers », son premier recueil de poèmes, Chêne et chien, paraît en 1937. Avec ce recueil des plus intimes, où le ton est souvent proche de la confidence, la psychanalyse fait une entrée remarquée en poésie, tous les poèmes de la seconde partie évoquant cette démarche, qui a profondément marqué Queneau. Il y a une petite voix qui parle et qui parle et qui parle », écrit-il. Et ce monologue, qui est celui de la mémoire douloureuse, a quelque chose de bouleversant. Je me couchai sur un divanet me mis à raconter ma vie,ce que je croyais être ma vie, qu’est-ce que j’en connaissais ?Et ta vie, toi, qu’est-ce que tu en connais ?Et lui, là, est-ce qu’il la connaît,sa vie ?Les voilà tous qui s’imaginentque dans cette vaste combineils agissent tous comme ils le veulentcomme s’ils savaient ce qu’ils voulaient.…Enfin me voilà donc couchésur un divan près de raconte tout ce qu’il me plaît je suis dans le je commencepar des histoires assez récentesque je crois assez importantespar exemple que je viens de me fâcher avec mon ami Untelpour des raisons confidentiellesmais le plus importantc’est queje suis incapable de travaillerbref dans notre sociétéje suis un désadaptaté inadapténé-vroséun impuissantalors sur un divanme voilà donc en train de conter l’emploi de mon temps … In Chêne et chien, 1937, © Poésie/Gallimard, 1985, extraits Mais sa période d’inadaptation prend fin. Traducteur depuis quelques années, il entre en 1938 au comité de lecture des Éditions Gallimard, comme lecteur d’anglais. Pour lui, la voie est tracée. Nommé secrétaire général en 1941, il se verra confier à partir de 1954 la direction de publication de l’Encyclopédie de la Pléiade. En 1943, il publie un second recueil de poèmes, Les Ziaux. Fréquente Camus, Picasso, Jean Lescure, Tardieu, Desnos. Mais surtout il fait la rencontre de François Le Lionnais, passionné comme lui de littérature et de mathématiques, avec lequel il fondera par la suite l’Oulipo. Auteur de publications clandestines, il est également membre du Comité national des écrivains, issu de la Résistance. À la Libération, avec son ami Boris Vian, il se prend de passion pour le jazz et fréquente assidûment Saint-Germain-des-Prés. Il peint aussi des gouaches, qu’il expose à plusieurs reprises. Avec Exercices de style, publié en 1947, Queneau raconte 99 fois la même histoire, qui tient en quelques lignes, en variant chaque fois le genre stylistique. Un brillant exemple de contrainte littéraire et de virtuosité, précurseur de l’Oulipo, dont le succès ira grandissant. Et qui est traduit aujourd’hui en plus de 30 langues. On voit qu’à l’opposé du surréalisme, qui privilégie le hasard, Queneau préfère se choisir des contraintes qu’il s’agit de maîtriser. L’année suivante, avec L’Instant fatal, Queneau donne la pleine mesure de sa liberté d’invention, construisant une prosodie par laquelle il dérègle l’écriture poétique traditionnelle, où il introduit la langue parlée, la gouaille, l’humour et la familiarité. Le poète traite les mots comme des créatures vivantes, qui, dit-il, se sont faits ouvriers ou boxeurs ». Une formule qui plaît à Olivier de Magny Ouvriers, ces mots démantèlent la solennité et les pompes verbales ; boxeurs, ils cabossent un peu le nez du tragique avant de fraterniser avec lui, ils tordent un peu le cou à l’éloquence mais la courtisent dans cet état qui la rend intéressante ; terrassiers, ces mots mettent la profondeur à ciel ouvert » Poésie/Gallimard, préface, Marine Les poissons ont de si jolies têtesqu’on est obligé de les déplacer fréquemmentà cause des ravages qu’ils font dans le cœur des médusesLes cœurs des méduses ravagés vont s’échouer dans les portssous forme de pétroliers ou de charbonniersLes méduses elles-mêmes ne sont jamais repêchéesun nouveau cœur leur pousse bien plus grand que le premierbien plus beau et bien plus vert et bien plus durcar les méduses ne veulent plus aimer les poissons aux nageoires coupantes et [aux ouïes blancheselles ne veulent plus aimer que le centre de gravité de chaque chosedans le ciel et sur la terreLes requins eux ne s’ennuient pasavec de la toile à matelasils fabriquent de jolis drapspour les noyés astucieuxqui sont accourus vers euxen mâchant de la verveinepour se parfumer les veinesnon les requins ne s’ennuient pasils ont aussi de jolies têtespour ravager le cœur des méduses inquiètes In L’Instant fatal, 1948, © Poésie/Gallimard, 1987, Qu’on ne s’y trompe pas. Il y a souvent chez Queneau plusieurs niveaux de lecture. À côté d’une lecture naïve, plutôt drôle, il y a place pour une lecture plus savante, qui donne sens à un texte qui semble en être dépourvu. Sans oublier une lecture symbolique, où se manifestent les grandes figures de son imaginaire. L’humour étant pour lui un moyen de se protéger contre l’angoisse de la mort, l’instant fatal. En 1949, son poème Si tu t’imagines, tiré de L’Instant fatal et mis en musique par Kosma, est chanté par Juliette Gréco et devient la chanson de l’année. Avec Petite cosmogonie portative, parue en 1950, Queneau, grand lecteur d’ouvrages scientifiques, raconte la genèse de notre planète, depuis le big bang jusqu’à l’apparition de l’homme. Un poème en six chants et en alexandrins, dans la lignée du De Natura Rerum de Lucrèce. À la fois léger, plein de fantaisie, de coq-à-l’âne et de jubilation, et en même temps très sérieux, didactique et bien documenté. Un mariage surprenant entre science et poésie. Avec une vision du monde et des connaissances exactes, notre auteur emprunte à la science le vocabulaire dont il jouera en virtuose. Que de fois il semble inventer, quand il emploie le terme propre ! », écrit Yvon Bélaval Poésie/Gallimard, préface, Dans le passage qui suit, l’auteur demande à Hermès, le messager des dieux, l’ancêtre de l’herméneutique, d’expliquer au lecteur le sens de son poème. Hermès expose donc le très simple projetque tracera ma plume à l’aide de vocablespour la plupart choisis parmi ceux des Français… Malgré son irrespect nous leur expliqueronsà ces lecteurs français son dessein bénévoleAu lieu de renoncule ou bien de liseronil a pris le calcium et l’abeille alvéoleCompris ? au lieu de banc ou de lune au printempsil a pris la cellule et la fonction phénolCompris ? au lieu de mort, d’ancêtres ou d’enfantsil a pris un volcan Régulus ou Algolau lieu de comparer les filles à des roseset leurs sautes d’humeur aux pétales qui volentil voit dans chaque science un registre bouillantLes mots se gonfleront du suc de toutes chosesde la sève savante et du docte latexOn parle des bleuets et de la margueritealors pourquoi pas de la pechblende pourquoi ?on parle du front des yeux du nez de la bouchealors pourquoi pas de chromosomes pourquoi ?on parle de Minos et de Pasiphaédu pélican lassé qui revient d’un voyagedu vierge du vivace et du bel aujourd’huion parle d’albatros aux ailes de géantde bateaux descendants des fleuves impassiblesd’enfants qui dans le noir volent des étincellesalors de pourquoi pas l’électromagnétisme … In Petite cosmogonie portative, 1950, © Poésie/Gallimard, 1985, p. 126-128 extraits La même année, publication de Bâtons, chiffres et lettres. Queneau entre au Collège de Pataphysique, comme satrape. Il devient membre de l’Académie Goncourt, en 1951. À partir de 1955, il travaille également pour le cinéma. Accompagne Buñuel au Mexique pour le tournage de La mort en ce jardin, dont il a écrit les dialogues. Fait partie du jury au Festival de Cannes. Voyage en URSS. Publie deux nouveaux recueils de poèmes en 1958, Sonnets et Le chien à la mandoline. Et en 1959, un roman Zazie dans le métro, qui assure son succès auprès du grand public et qui sera adapté au cinéma par Louis Malle, quelques mois plus tard. Cette fois, l’Université s’intéresse à son œuvre. En septembre 1960, la rencontre de Cerisy lui est consacrée. Et de cette rencontre naîtra l’Oulipo, Ouvroir de Littérature Potentielle, fondé par Raymond Queneau et son ami François Le Lionnais. Ce groupe réunira, entre autres, Georges Perec, Jean Lescure, Jean Queval, Italo Calvino, Jacques Roubaud. À partir de contraintes qu’on se donne, il s’agit de produire de nouvelles formes d’expression et de création. Queneau se met aussitôt au travail et publie en 1961 Cent mille milliards de poèmes, premier essai de poésie libre-service. À l’aide de dix sonnets de 14 vers, découpés en bandes horizontales, chaque lecteur peut composer autant de sonnets différents qu’il le désire, sans aucune chance de rencontrer le même. Ce livre-objet fascinant, s’inspirant du calcul combinatoire, permet d’associer les vers à l’infini. En 1967, avec Courir les rues, le poète inaugure une trilogie, dont le premier volet évoque Paris, sa ville. Ceci n’est pas un recueil de poèmes, écrit-il, mais le récit d’allées et venues dans un Paris qui n’est ni le Paris mystérieux » ni le Paris inconnu » des spécialistes. Il n’y est question que de petits faits quotidiens, des pigeons, du nom des rues, de touristes égarés une sorte de promenade idéale dans un Paris qui ne l’est pas ». Se souvenant de l’époque lointaine où il tenait dans le journal L’Intransigeant sa chronique quotidienne, Connaissez-vous Paris ? ». Il se montre également sensible à tout ce qui disparaît avec le temps qui passe et qui annonce notre propre disparition. Destin La gare Montparnasse descendl’escalier de la destructionà la station Bienvenüeelle prend le métroun jeune homme bien élevélui cède une place assisehonneur aux dameset gloire à la SNCFelle s’assoit et dans son crâne elle entendla pioche la pioche la piochec’est moche on lui enlève le frontonon lui retire ses ouatèresle cinéma se fermela rue du Départ regarde les yeux dans les yeux la rue de l’Arrivéeil n’y aura plus de départil n’y aura plus d’arrivéeil n’y aura plus d’actualitésil n’y aura plus de gens pressésà la recherche de feuilléesla gare Montparnasse se prend le frontdans les mains ça cogne ça cogne ça cognela voilà qui descend à la gare Saint-Lazareça pioche ça cogne ça pioche ça cogneelle monte dans le train pour le Havredans le bateau pour New Yorkelle est trop lourde pour un constellationelle fuit elle fuit la démolitionelle parvient saine et sauve aux États-Uniselle y trouve sa mort et sa résurrectionau Museum of Modern Artoù elle se fige comme lard In Courir les rues 1967, © Poésie/Gallimard, 1981, p. 78-79 Avec le second volet, Battre la campagne, paru en 1968, on retrouve l’usure des choses, au milieu d’une nature qui est loin d’être bonne. Les rues, si on les suit jusqu’au bout, mènent aux champs ou dans les bois. On y rencontre des paysans, des plantes, des animaux, mais la ville avance le long des routes nationales. Y aura-t-il toujours des paysans, des plantes, des animaux ? » questionne Queneau. Toutefois, la main à la plume, rien ne peut l’arrêter. J’écrirai des poèmes / la main sur la charrue du vocabulaire ». D’ailleurs, plus puissant que le paysan, le poète a le pouvoir d’inverser l’ordre des choses, comme Orphée qui par son chant faisait remonter les ruisseaux à leur source. Et de réécrire à sa façon plusieurs fables célèbres. La fourmi et la cigale Une fourmi fait l’ascension d’une herbe flexible elle ne se rend pas compte de la difficulté de son entreprise elle s’obstine la pauvrette dans son dessein délirant pour elle c’est un Everest pour elle c’est un Mont Blanc ce qui devait arriver arrive elle choit patatratement une cigale la reçoit dans ses bras bien gentiment eh dit-elle point n’est la saison des sports alpinistes vous ne vous êtes pas fait mal j’espère et maintenant dansons dansons une bourrée ou la matchiche In Battre la campagne 1968, © Poésie/Gallimard, 1981, p. 122 Quant au dernier volet, Fendre les flots, paru en 1969, Queneau précise La vie est une navigation, on le sait depuis Homère. L’auteur regarde s’embarquer un enfant dans une ville maritime, il le suit à travers vents et marées, et donne ainsi un complément à Chêne et chien ». Avec son ultime recueil, Morale élémentaire, paru en 1975, Queneau continue d’innover jusqu’au bout en créant une forme poétique originale de 15 vers un de plus que le sonnet, aussi structurée qu’un haïku et comprenant exactement 32 mots. Dans la droite ligne de ses recherches oulipiennes. Et à côté de cela, Claude Debon, l’un des meilleurs connaisseurs de Queneau, voit aussi dans son œuvre une modernité qui se paie le luxe d’utiliser encore le vieil alexandrin ou le sonnet prétendument disparu de la poésie moderne ». Et de reprendre, en l’appliquant à Queneau, ces mots d’Apollinaire On peut partir d’un fait quotidien un mouchoir qui tombe peut être pour le poète le levier avec lequel il soulèvera tout un univers ». Sa dernière publication concerne une application des mathématiques à la littérature. Et c’est le 25 octobre 1976 que se termine son odyssée, tandis qu’est arrivé pour lui l’instant fatal. Poussière Derrière les semellesvole la poussièreà condition de ne pas battrel’asphalte des routes goudronnéesdans cette poussière il y ade quoi rêverdu pollen des fleurs décédéesde la bouse de vache séchéedes éclats amenuisésde silex ou de calcairedu bois très très émiettédes feuilles pulvériséesquelques insectes écrasésdes œufs de bêtes innoméeset tout ça vole vole volelorsque c’est un peu remuéet tout ça vole vole volevers telle ou telle destinéeprojeté à coup de soulierssur le chemin mal empierréqui conduit au cimetièreIbid, **** Vers un peu d’air bleu Songes flottants dans la brumeaccordés au vol bas d’oiseaux lasun peu de mer vaporiséeun peu d’écumeIdées non, maussaderieséchos du pas lent du poisson de banclégèreté désagrégéehygrométriesDe tout cela rien ne s’élèveil faut attendre et tendrevers un peu d’air bleuau-dessus de la brume au-dessus de l’écume au-dessus du rêveIn Fendre les flots 1969, © Poésie/Gallimard, 1981, Bibliographie poétique Chêne et chien, roman en vers, © Denoël, 1937 / © Gallimard, 1952 Les Ziaux, © Gallimard, 1943 / 1948 L’Instant fatal, © Gallimard, 1948 Petite cosmogonie portative, © Gallimard, 1950 / 1969 Cent mille milliards de poèmes, © Gallimard, 1961 Le Chien à la mandoline, © Gallimard, 1965 Courir les rues, © Gallimard, 1967 Battre la campagne, © Gallimard, 1968 Fendre les flots, © Gallimard, 1969 Morale élémentaire, © Gallimard, 1975 L’Instant fatal, précédé de Les Ziaux, préface d’Olivier de Magny, © Poésie/Gallimard, 1966 / réédition 1987 Chêne et chien, suivi de Petite cosmogonie portative, et de Le chant du Styrène, préface d’Yvon Belaval, © Poésie/Gallimard, 1969 / réédition 1985 Courir les rues, Battre la campagne, Fendre les flots, Préface de Claude Debon, © Poésie/Gallimard, 1981 Œuvres complètes, tome I poésie, édition établie par Claude Debon, Coll. La Pléiade, © Gallimard, 1989 Sur l’auteur Raymond Queneau, par Jean Queval, coll. Poètes d’Aujourd’hui, © Seghers, 1960 / 1971 Raymond Queneau, un poète, par François Caradec, coll. Folio junior, © Gallimard, 1982 Raymond Queneau, © revue Europe, n° 650-651, juin-juillet 1983 Raymond Queneau, © revue Europe, n° 888, avril 2003 Internet Un article Wikipedia Contribution de Jacques Décréau
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